Rééducation orthopédagogique du langage écrit

Traitement orthographique


Le traitement orthographique réorganise l’ensemble des connaissances liées aux correspondances graphèmes-phonèmes en les classant et en les catégorisant selon leur fréquence, leur complexité et leur régularité (Rodrigue, 2006) . En fait, il permet d’identifier ou d'orthographier les mots qui s'avèrent plus complexes étant donné qu'ils contiennent, par exemple, des graphèmes dont la prononciation varie selon le contexte (p. ex. : cerise, garage) ou des correspondances graphèmes-phonèmes irrégulières (p. ex. : femme, monsieur) ou complexes (Boutin, 2012). Le traitement orthographique dépend grandement des traitements alphabétique et logographique, car c'est en utilisant ces deux procédures que le lecteur/scripteur développera des connaissances liées aux correspondances graphèmes-phonèmes et phonèmes-graphèmes et qu'il stockera des unités lexicales. Celles-ci lui seront indispensables pour emmagasiner des représentations orthographiques qu'il pourra ultérieurement récupérer pour lire ou écrire des mots à l'aide du traitement orthographique.  Le traitement orthographique  permet aussi d’analyser les graphies contextuelles (p. ex. : la règle du g et du c doux et dur) et de récupérer les patrons orthographiques emmagasinés en mémoire. Ainsi, l'élève dont le traitement orthographique est fonctionnel pourra lire et écrire des mots réguliers et des pseudo-mots qui contiennent  des graphies contextuelles, ainsi que des mots irréguliers. Il sera aussi en mesure de pas oraliser les lettres muettes lorsque c'est requis. Étant donné que le français est une langue complexe et particulièrement opaque en écriture, les élèves commencent à traiter des mots de façon orthographique plus tardivement que dans certaines langues, c'est-à-dire vers la fin de la 1re année (Sprenger-Charolles, Siegel et Bonnet, 1998). De plus, la langue française étant un système plutôt transparent en lecture, mais opaque en écriture, l'identification de mots engendrerait moins de difficultés que la production (Bosman et Van Orden, 1997). C'est donc l'utilisation de la stratégie orthographique en lecture qui provoquerait son apparition en écriture (Habib, 1997).

Manifestations des difficultés 

Ces manifestations peuvent être identifiées à la lumière des résultats de l’évaluation orthopédagogique (Chapleau, 2013; Côté, 2012; Laplante, 2011) :

  • Faible performance lors de l’identification et de la production de mots irréguliers (p. ex. : monsieur, femme) comparativement aux mots réguliers;
  • Régularisation de mots irréguliers (p. ex. : femme est lu /fem/ ou écrit fame);
  • Production d'erreurs phonologiquement plausibles mais ne respectant pas l'orthographe lexicale;
  • Faible performance lors de l’identification et de la production de mots contenant des graphèmes contextuels (p. ex. : c, g, s…);
  • Lenteur de traitement en écriture due à de nombreuses hésitations et retours en arrière (p. ex. : rature, efface, cherche dans le dictionnaire).
  • Difficultés au niveau des processus non-spécifiques surajoutées qui peuvent exacerber l'ampleur des défis en lecture-écriture.

Progression suggérée

Étant donné que la capacité à construire des représentations orthographiques est dépendante des traitements logographique et alphabétique (Seymour, 2008), il faut d'abord s'assurer que ces deux fondations soient solidifiées. Or, comme seulement 50 % des mots peuvent être écrits par le seul recours aux correspondances graphèmes-phonèmes (Véronis, 1988), il importe d'enseigner aussi aux élèves d'autres connaissances qui relèvent davantage du traitement orthographique, dont les règles et régularités orthographiques. Les règles orthographiques seraient plus simples à acquérir pour les élèves étant donné qu'elles s'appliquent dans pratiquement tous les contextes, contrairement aux régularités qui sont moins systématiques. 

Différents modèles de progression pour l'enseignement des régularités orthographiques existent. Voici quelques principes sur lesquels se basent la plupart des auteurs afin de guider leur planification graduée :

- La typologie de Mousty et Alegria (1996) : Pour graduer les régularités orthographiques à enseigner, la majorité des auteurs se basent sur la typologie de Mousty et Alegria qui ont classé les graphies dans une progression allant du plus simple au plus complexe. Selon ces auteurs, l'élève s'approprie les différentes graphies dans cet ordre, donc il serait avantageux de les enseigner de cette façon.

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L'outil « Tableau des catégories de graphèmes » présente une définition et plusieurs exemples des catégories de graphèmes mentionnées ci-haut en les associant avec le traitement impliqué. En effet, l'apprentissage de certains de ces graphèmes sollicite aussi d'autres traitements.

- La progression des apprentissages (MELS, 2009) : Le choix des régularités à enseigner devrait généralement respecter les niveaux scolaires proposés par « La progression des apprentissages ». Selon ce document ministériel, certaines régularités peuvent être abordées dès le 1er cycle du primaire dans le but d'amener l'élève à observer des constantes et des règles orthographiques. Elles devront continuer d'être enseignées tout au long du primaire, et ce, même jusqu’au 1er cycle du secondaire pour que l'élève les maîtrise bien.

- Le taux de régularité, le nombre de mots concernés et la fréquence : Il est important que les règles choisies aient un bon taux de régularité, c'est-à-dire que le nombre de mots qui respectent la régularité soit plus élevé que ceux qui en dérogent. De plus, les régularités doivent concerner un nombre élevé de mots, préférablement des mots fréquents, pour qu'il soit avantageux de les enseigner. D'ailleurs, le choix des mots utilisés pour les enseigner doit aussi permettre à l'élève d'apprendre à orthographier des mots à haute fréquence. 

Il existe du matériel didactique varié pour soutenir l'enseignement de l'orthographe, mais les régularités qui y sont proposées varient d'une parution à l'autre. Mélanie DuTemple (2017) a d'ailleurs fait une recension des régularités orthographiques (voir l'appendice D) proposées dans certains outils. L'orthopédagogue doit donc observer les difficultés orthographiques de l'élève et identifier avec soin les règles et régularités les plus pertinentes à rééduquer.

Pratiques efficaces

Certaines pratiques sont plus probantes que d’autres pour favoriser le développement du traitement orthographique. En voici quelques-unes :

- L’exposition à l’écrit : Plus l’élève est exposé à l’écrit, plus il aura des occasions fréquentes d’apprendre implicitement les informations liées aux propriétés visuelles des mots, favorisant ainsi la lecture et l’écriture (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). L’orthopédagogue peut donc sensibiliser l’élève, les intervenants scolaires et la famille à l’importance de lire régulièrement.

- L’enseignement explicite : Le seul fait d'utiliser divers dispositifs de lecture ne suffit pas à développer toutes les compétences orthographiques. De nombreux auteurs soutiennent que l’apprentissage des principes à la base du code orthographique, dont les régularités orthographiques, doit passer par un enseignement explicite (Daigle et coll., 2015). Selon cette recherche, l'enseignement explicite représenterait une des pratiques les plus probantes en enseignement de l'orthographe. En prenant conscience de l’objet d’apprentissage, soit les régularités orthographiques, l’élève peut ainsi mémoriser plus facilement les particularités des mots et les récupérer dans un autre temps pour les écrire. L’orthopédagogue doit d’abord identifier les régularités qui sont maîtrisées pour ensuite cibler celles qui sont à développer. Or, il est préférable de travailler en profondeur un nombre restreint de règles afin d’éviter de surcharger l’élève.

- La réflexion métagraphique : Pour améliorer leurs compétences orthographiques, les élèves doivent développer leur capacité à manipuler les unités orthographiques des mots et à y réfléchir (Varin, Daigle, Berthiaume et Ruberto, 2013). Par des entretiens métagraphiques dirigés par l’orthopédagogue, les élèves apprennent à repérer, à corriger et expliquer leurs choix. Dans un entretien métagraphique, l’orthopédagogue discute et fait verbaliser l'élève à partir de ce qu'il a écrit.  Son intention est d'accéder aux représentations orthographiques de l'élève et d'intervenir sur ses représentations erronées (Marin, Sirois et Lavoie, 2013). Le canevas d'entretien métagraphique peut guider l'orthopédagogue. Ce type d'entretien permet à l'orthopédagogue d’ajuster ses interventions. L’élève, lui, peut prendre conscience de ses actions mentales. Pour s'assurer que les interactions entre les élèves soient favorables, un groupe de quatre élèves maximum est donc suggéré.  

- La mémorisation : Les stratégies de mémorisation doivent être enseignées explicitement à l’élève (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). Il est fortement suggéré d’intégrer une approche incluant la vision (création d’une image mentale), l’audition (épellation du mot) et la motricité (écriture du mot).

- Éviter l’exposition à l’erreur : Plusieurs auteurs, dont Stanké, Ferlatte, Granger et Poulin (2015) mettent de l’avant « un enseignement sans erreur » qui consiste à éviter d’utiliser des activités avec des erreurs intentionnelles comme la chasse aux erreurs. L’exposition à la bonne orthographe favorise la mémorisation des mots.  

- Transfert des apprentissages : Selon Côté (2012), pour que l’élève en vienne à utiliser les apprentissages faits lors de la rééducation pour lire et écrire des mots dans des situations authentiques, il faut assurer le transfert des apprentissages en tâches contextualisées. Pour ce faire, il faut utiliser rapidement les régularités dans des mots et des textes, après les avoir travaillées isolément jusqu’à ce qu’elles soient acquises. Il faut procéder de façon graduelle en proposant des tâches de plus en plus contextualisées.

Outils

Les outils proposés contiennent des exemples d’éléments qui peuvent être utiles pour guider la pratique orthopédagogique. Toutefois, ils doivent être adaptés selon les besoins de l’élève et les objectifs de rééducation.

Exemple de séance-type

Canevas d'outil de pistage

Bilan des interventions

Tableau des catégories de graphèmes

Liste de mots irréguliers

Canevas d'entretien métagraphique

Sources

Bosman, A. M. et Van Orden, G. (1997). Pourquoi l'orthographe est-elle plus difficile que la lecture? Dans L. Rieben, M. Fayol et C.A. Perfetti (dir), Des orthographes et leur acquisition (p. 207-230), Lausanne, Delachaux et Niestlé.

Boutin, G. (2012). Validation d'un outil d'évaluation des processus spécifiques de lecture et d'écriture s'adressant à des élèves du premier cycle du secondaire (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Repéré à https://archipel.uqam.ca/4934/1/M12562.pdf

Chapleau, N. (2013). Effet d’un programme d’intervention orthopédagogique sur la conscience morphologique et la production de mots écrits chez des élèves présentant une difficulté spécifique d’apprentissage de la lecture-écriture (Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal). Repéré à http://www.archipel.uqam.ca/5780/

Côté, M.F. (2012). L’impact d’une intervention orthopédagogique rééducative sur le transfert d’habiletés d’identification de mots en situation authentique de lecture chez des élèves du premier et du deuxième cycles du primaire présentant des difficultés d’apprentissage (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Repéré à https://archipel.uqam.ca/5069/1/M12385.pdf

Daigle et coll. (2015). Rapport de recherche, programme actions concertées : L’enseignement de l’orthographe lexicale et l’élève en difficulté : Développement et mise à l’essai d’un programme d’entraînement (Rapport no2013-ER-164704).  Repéré à https://frq.gouv.qc.ca/app/upl...

Daigle, D. et Montésinos-Gelet, I. (2013). Le code orthographique du français.  Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet et A. Plisson (dir.), Orthographe et populations exceptionnelles (p. 11-34), Québec, Presses de l’Université du Québec.

DuTemple, M. (2017). Enseignement explicite et rééducation de l'orthographe lexicale auprès d'élèves de 3e année ayant une hypothèse de dyslexie/dysorthographie (Rapport de stage de maîtrise, Université du Québec en Outaouais). Repéré à https://docs.wixstatic.com/ugd/4644d3_868b22bdff904d2687b7477c9d25ca92.pdf

Guertin, S. (2015). Rééducation de l’orthographe chez de jeunes dysorthographiques (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal).  Repéré à https://archipel.uqam.ca/8047/1/M14007.pdf

Habib, M. (1997). Dyslexie : le cerveau singulier, Marseille, Solal Éditeurs.

Laplante, L. (2011). L’évaluation diagnostique des difficultés d’apprentissage de la lecture. Dans M.J. Berger et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.

Laplante, L., Chapleau, N. et Bédard, M. (2011).  L’identification de la dyslexie développementale : vers un modèle intégrant l’évaluation et l’intervention. Dans M. Berger, M. et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie (p. 215-254), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa. 

Marin, J., Sirois, P. et Lavoie, N. (2013). Enseigner l’orthographe au primaire selon une
approche pédagogique intégrée et différenciée, Québec français, (169), 78–80.

MELS (2009).  Progression des apprentissages, français, langue d’enseignement, Québec, Gouvernement du Québec.

Mousty, P., et Alegria, J. (1996). L'acquisition de l'orthographe et ses troubles. Dans Carbonnel, S., Gillet, P. Martory, M.D. et S. Valdois (dir.), Approche cognitive des troubles de la lecture et de l'écriture chez l 'enfant et chez l'adulte (p. 165-179), Marseilles, Solal.

Rodrigue, A. (2006). Étude des représentations orthographiques chez deux types de scripteurs en trouble spécifique d'acquisition du langage écrit (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Repéré à https://archipel.uqam.ca/2731/1/M9383.pdf

Seymour, P. (2008). Continuity and Discontinuity in the Development of Singleworld Reading: Theorical Speculations. Dans E. Grigorenko et A. Naples (dir.), Single-word Teading, Behavioral and Biological Perspectives (1-24), New York, Lawrence Erlbaum Associates.

Sprenger-Charolles, L., Siegel, L. S., et Bonnet, P. (1998). Phonological Mediation and Orthographic Factors in Reading and Spelling, Journal of Experimental Child Psychology, 68, 134-155.

Stanké, B., Ferlatte, M-A., Granger, S. et Poulin, M-J.  (2015). Efficacité de l’enseignement sans erreur de l’orthographe lexicale, Cahiers de l’AQPF, 5(3), 16-18.  Repéré à https://brigittestanke.files.w...

Varin, J., Daigle, D., Berthiaume, R. et Ruberto, N. (2013). La révision orthographique chez l'élève dyslexique. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet et A. Plisson (dir.),  Orthographe et populations exceptionnelles (p. 201-221), Québec, Presses de l’Université du Québec.

Véronis, J. (1988). From Soung to Spelling in French: Simulation on a Computer. Cahiers de psychologie cognitive, 8, 315-334.