Rééducation orthopédagogique du langage écrit

Traitement morphographique


Un morphème est une partie de mot porteuse de sens. En considérant les accords possibles, 80% des mots en français sont constitués d’au moins deux morphèmes (Rey-Debove, 1984). Par exemple, le mot "chanteur" comporte deux morphèmes: chant /eur. Il en existe deux types: les morphèmes flexionnels et les morphèmes dérivationnels.  

  • Les morphèmes flexionnels indiquent les variations en genre et nombre (Berthiaume et Daigle, 2022) et dépendent du raisonnement syntaxique (Godin, 2022).  Ils concernent donc les processus non-spécifiques. 
  • Les morphèmes dérivationnels indiquent la forme des mots (bases et affixes).  Ces derniers sont traités par les processus spécifiques d'identification et de production de mots.  La section qui suit traite des morphèmes dérivationnels.

Les morphèmes dérivationnels concernent le traitement morphographique. Celui-ci correspond à la mise en place d’un accès direct aux représentations orthographiques et au sens des morphèmes emmagasinées. Par exemple, un lecteur pourrait identifier le mot « dentiste » en reconnaissant le mot de base « dent » et le suffixe « iste », qui veut dire « une personne qui… ». Un scripteur voulant écrire le mot « dentiste » pourrait récupérer le mot de base « dent » dans son lexique orthographique et y ajouter le suffixe « iste », de façon à respecter la norme orthographique. Le traitement morphographique se développe plus tardivement chez le lecteur-scripteur. En effet, son fonctionnement est dépendant de la construction du traitement orthographique et de la conscience morphologique, la capacité à repérer les morphèmes à l’intérieur des mots, à les analyser et les manipuler consciemment.

Le traitement morphographique permet l’identification et la production des mots multisyllabiques qui contiennent des morphèmes. . La simple application des règles de correspondances phonèmes-graphèmes ne permet d’orthographier correctement que 50 % des mots (Véronis, 1988). Les habiletés phonologiques sont donc insuffisantes à elles seules. Ainsi, le traitement morphographique occupe une place non négligeable en lecture-écriture. Il soutient notamment les éléments suivants (Berthiaume, Boisvert, Théberge et Daigle, 2017; Godin, 2016; Chapleau, 2013) :

  • Meilleure efficacité en identification de mots.  En effet, un lecteur habile au niveau morphologique peut traiter des unités plus grandes que s’il s’appuyait uniquement sur la phonologie. La lecture est donc facilitée et moins coûteuse en énergie.
  • Précision accrue en production de mots écrits. Un scripteur qui connaît la signification et l’orthographe d’un affixe le produit avec une plus grande précision. Il peut centrer davantage son attention sur la production de la base, ce qui diminue ainsi la charge cognitive.
  • Élargissement du vocabulaire.
  • Facilitation de la compréhension du sens des mots inconnus.
  • Facilitation de la compréhension des textes.
  • Établissement de liens entre les mots. Par exemple, le suffixe -eur signifie « qui fait telle action », donc il est possible de déduire que danseur est la personne qui danse (Berthiaume, Boisvert, Théberge et Daigle, 2017).

L’une des contributions non négligeables des interventions sur le traitement morphographique est la possibilité de compenser certaines difficultés d’identification et de production de mots. Les élèves dyslexiques présenteraient des habiletés en conscience morphologique supérieures à celles en conscience phonologique (Godin, 2016; Casalis, Mathiot, Becavin et Colé, 2003), d’où la pertinence de tirer avantage de cette force.  En effet, la manipulation des unités phonologiques pour lire et écrire est coûteuse en énergie pour eux. L’enseignement explicite de la structure morphologique des mots amène les élèves à traiter les morphèmes, des unités phonologiques plus grandes qui sont reliées au sens. Il s’agit d’une stratégie compensatoire qui peut être efficace pour des élèves en difficulté (Chapleau, 2013; Godin, 2016).  

Manifestations des difficultés

Les difficultés au plan des habiletés phonologiques présentes chez plusieurs élèves éprouvant des difficultés en lecture-écriture freinent le développement des habiletés morphologiques (St-Pierre, Dubé et Croteau, 2013). Ces élèves présenteraient souvent des retards de connaissances morphologiques, comme s’ils possédaient des habiletés comparables à celles d’élèves plus jeunes (Berthiaume, Boisvert, Théberge et Daigle, 2017).  Les manifestations de difficulté du traitement morphographique suivantes peuvent être identifiées à la lumière des résultats de l’évaluation orthopédagogique (Laplante, 2011; Chapleau, 2013; St-Pierre, Dubé et Croteau, 2013) :

  • Faible performance lors de l’identification et la production de mots constitués de morphèmes (p. ex. : l’élève écrit correctement « dent », mais il écrit « dantier »), particulièrement dans les mots moins fréquents ou phonologiquement complexes. Ces manifestations sont parfois subtiles à l’oral, mais marquées à l’écrit.
  • Transposition orale des morphèmes grammaticaux (p. ex. : « grand » lu « grande »).
  • Substitution ou ajout de morphèmes (p. ex. : « grand » écrit « grans »).
  • Difficulté à découvrir spontanément les morphèmes communs dans des mots qui sont reliés.
  • Difficultés au niveau des processus non-spécifiques surajoutées qui peuvent exacerber l'ampleur des défis en lecture-écriture.

Précisons toutefois que des interventions sur le traitement morphographique pourraient être mises en place en l’absence de difficultés franches à ce niveau.  Les interventions sont alors de nature compensatoire aux difficultés phonologiques ou orthographiques.

Progression suggérée

Selon Chapleau (2013), il serait favorable de commencer l’enseignement de la morphologie même si les traitements alphabétique et orthographique ne sont pas bien maîtrisés par l’élève. Berthiaume et ses collègues (2017) soulignent que les recherches doivent se poursuivre pour identifier quels types d’activités morphologiques sont plus simples, comparativement à d’autres.  Ils proposent néanmoins de tenir compte de deux aspects pour graduer le niveau de difficulté : les éléments proposés et le type d’activités. Berthiaume et ses collègues (2017) suggèrent donc une progression distincte pour ces deux aspects :

Progression des éléments proposés :
1. Mots préfixés;
2. Mots suffixés;
3. Pseudo-mots préfixés;
4. Pseudo-mots suffixés.

Progression du type d’activités :
1. Juger si deux mots appartiennent à la même famille morphologique;
2. Former des mots qui comportent une base et un affixe;
3. Juger de la plausibilité;
4. Décomposer un mot en identifiant la base et l’affixe;
5. Déterminer le sens des affixes;
6. Analyser une séquence de mots et déterminer s’il y a des intrus (par exemple, venteux, venter, inventer, paravent).

Pratiques efficaces

Plusieurs recherches démontrent l’importance de développer les connaissances morphologiques des élèves pour améliorer leurs compétences en lecture et en écriture, notamment pour favoriser l’accès au sens du vocabulaire ainsi que pour améliorer la compréhension des textes et l’orthographe. Par contre, les recherches concernant la rééducation du traitement morphographique et les modalités lors de l’intervention sont en émergence. Voici quelques exemples de pratiques favorables recensées dans les écrits :

- Modalité orale et ensuite écrite : La présentation des notions liées à la morphologie doit être présentée d’abord en modalité orale et ensuite à l’écrit par des activités d’identification et de production des mots écrits (St-Pierre, Dubé et Croteau, 2013).  Bourcier et Leonti (2022) donnent des exemples pour stimuler le langage en intervenant sur la structure morphologique des mots: 

  • Élève: "Je ne suis pas satisfait". Orthopédagogue: "Tu peux dire ou écrire que tu es insatisfait". 
  • Élève: "La boutique de chocolat est fermée". Orthopédagogue: "Tu peux dire ou écrire que la chocolaterie est fermée".

- Intervention conjointe sur la lecture, l'écriture et la communication orale: Ceci augmenterait la fréquence d'exposition à la morphologie dérivationnelle. Par exemple, lire un texte où on repère deux mots contenant un préfixe ou un suffixe, puis produire des phrases à l'oral ou à l'écrit reprenant ces mots (Bourcier et Leonti, 2022).

- Enseignement explicite : L'exposition n’est pas suffisante pour permettre à plusieurs élèves de développer efficacement leur conscience morphologique. Il est donc nécessaire de mettre en place un enseignement explicite et systématique des bases et des affixes (St-Pierre, Dubé et Croteau, 2013). L'outil « Liste de préfixes, suffixes et radicaux » peut soutenir l'orthopédagogue dans le choix des unités à travailler.

- Découverte guidée : Fayol, cité par Chapleau (2013), et Fejzo (2017) suggèrent de présenter des mots ayant le même affixe et d’inviter les élèves à dégager la régularité.

- Répétition : L’utilisation d’exercices répétés s'avère pertinente pour contrer la résistance à l’intervention et permettre aux élèves de mémoriser les unités orthographiques fréquentes.

- Réflexion métagraphique : Les élèves doivent être capables de justifier les choix effectués, que ce soit lors de la production de mots ou lors des activités proposées. L’orthopédagogue mettra à contribution les habiletés métacognitives des élèves, facteur qui a de l’impact sur l’efficacité du traitement morphographique (St-Pierre, Dubé et Croteau, 2013). Il convient de discuter explicitement et consciemment du sens des mots morphologiquement complexes. Bourcier et Leonti (2022) proposent les questions suivantes pour susciter la discussion lorsque les élèves définissent un mot nouveau ayant une structure morphologique complexe: Sur quoi les élèves se sont-ils basés pour trouver des morphèmes? Connaissent-ils des mots similaires? Ont-ils utilisé leurs connaissances de ces mots pour déduire le sens du mot nouveau? 

- Assurer le transfert des apprentissages en tâches contextualisées. Pour ce faire, il faut utiliser rapidement les morphèmes dans des phrases et des textes.

Outils

Les outils proposés contiennent des exemples d’éléments qui peuvent être utiles pour guider la pratique orthopédagogique. Toutefois, ils doivent être adaptés selon les besoins de l’élève et les objectifs de rééducation.

Exemple de pistage 

Séance-type

Bilan des interventions

Liste de préfixes, suffixes et radicaux

Sources 

Berthiaume, R. et Daigle, D. (2022).  L'importance des connaissances morphologiques dans le développement de la lecture et de l'écriture au primaire.  Vivre le primaire, 35 (4), 40-42.

Berthiaume, R., Boisvert, M., Théberge, P. et Daigle, D. (2017). La morphologie pour mieux lire et écrire, Montréal, Chenelière Éducation.

Bourcier, A. et Leonti, O.  (2022).  Recourir à la morphologie dérivationnelle pour mieux lire: le cas des lecteurs en difficulté.  Vivre le primaire, 35 (4), 50-51.

Casalis, S., Mathiot, E., Becavin, A.S., et Colé, P. (2003). Conscience morphologique chez des apprentis lecteurs tout-venant et en difficultés, Silexicales, 3, 57-66.

Chapleau, N. (2013).  Effet d’un programme d’intervention orthopédagogique sur la conscience morphologique et la production de mots écrits chez les élèves présentant une difficulté spécifique d’apprentissage de la lecture-écriture (thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal).  Repéré à http://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwiB6dDat7_aAhUOd98KHZLYCRQQFggnMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.archipel.uqam.ca%2F5780%2F1%2FD2501.pdf&usg=AOvVaw313ez1puvSKPQSKEIlwWqr

Fejzo, A. (2017). La conscience morphologique : son développement dans les premières années, Parlons apprentissage.  Repéré à  https://boutique.passetemps.com/blogue/la-conscience-morphologique-son-d%C3%A9veloppement-dans-les-premi%C3%A8res-ann%C3%A9es-n3800

Godin, M-P. (2022).  Les morphogrammes grammaticaux: ces marques qui créent des embrouilles.  Vivre le primaire, 35 (4), 52-53.

Godin, M-P. (2016). Utiliser la morphologie dérivationnelle comme stratégie pour lire et écrire, Parlons apprentissage.  Repéré à https://passetemps.com/blogue/utiliser-la-morphologie-d%C3%A9rivationnelle-comme-strat%C3%A9gie-pour-lire-et-%C3%A9crire-premi%C3%A8re-partie-n3422

https://passetemps.com/blogue/utiliser-la-morphologie-d%C3%A9rivationnelle-comme-strat%C3%A9gie-pour-lire-et-%C3%A9crire-deuxi%C3%A8me-partie-n3424

Huart, L. (2016).  Effet d’un programme d'entraînement en morphologie dérivationnelle sur les compétences en lecture d’adolescents présentant un trouble spécifique d’apprentissage du langage écrit (mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste, Université Nice Sophia Antipolis).  Repéré à https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01482245/document

Rey-Debove, J. (1984).  Le domaine de la morphologie lexicale. Cahiers de lexicologie. Revue internationale de lexicologie et de lexicographie, 45(2), 3-19.

St-Pierre, M-C. (2016). La conscience morphologique : un ingrédient actif dans l’apprentissage actif de l’orthographe, Parlons apprentissage.  Repéré à https://boutique.passetemps.com/blogue/la-conscience-morphologique-un-ingr%C3%A9dient-actif-dans-lapprentissage-du-langage-%C3%A9crit-premi%C3%A8re-partie-n3362 https://boutique.passetemps.com/blogue/la-conscience-morphologique-un-ingr%C3%A9dient-actif-dans-lapprentissage-du-langage-%C3%A9crit-deuxi%C3%A8me-partie-n3364

St-Pierre, M-C., Dubé, J-F. et Croteau, M. (2013). Comment favoriser le développement des habiletés orthographiques auprès d’enfants en difficulté de 7 à 8 ans? Description d’une intervention en conscience morphologique basée sur les faits scientifiques et les considérations cliniques. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet et A. Plisson (dir.), Orthographe et populations exceptionnelles : perspectives didactiques (57-80), Québec, Presses de l’Université du Québec.

Véronis, J. (1988). From Soung to Spelling in French: Simulation on a Computer. Cahiers de psychologie cognitive, 8, 315-334.



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