Traitement phonologique
Selon St-Pierre (2006), le traitement phonologique correspond à la capacité à se construire un système de représentations phonologiques à partir de l’entrée auditive. Ces représentations phonologiques sont des espèces d’images mentales de la forme sonore des mots emmagasinées dans la mémoire à long terme grâce au contact avec la langue parlée. Plus le vocabulaire oral s’enrichit, plus le locuteur arrive à faire des différences phonologiques fines (Desrochers, Kirby, Thompson et Fréchette, 2009). D’après Stanké et Lefebvre (2016), le traitement phonologique comprend :
- La conscience phonologique;
- L’accès au lexique phonologique;
- La mémoire de travail phonologique.
La conscience phonologique
La conscience phonologique correspond à la capacité d'identifier les unités segmentales de la parole et de les manipuler mentalement et délibérément (Desrochers, Kirby, Thompson et Fréchette, 2009). La conscience phonologique se développe à la suite du stockage de représentations phonologiques et permet l’acquisition des correspondances graphèmes-phonèmes, base du décodage en lecture (St-Pierre, 2006). En retour, la maîtrise du son des lettres enrichirait les capacités de conscience phonologique (Desrochers, Kirby, Thompson et Fréchette, 2009). La conscience phonologique est l’élément central du traitement alphabétique. Elle est donc nécessairement mise à profit lorsqu’un lecteur identifie un mot en convertissant les correspondances graphèmes-phonèmes. De même, la conversion des correspondances phonèmes-graphèmes qui permet d'écrire certains mots s'appuie elle aussi sur les habiletés de conscience phonologique. La conscience phonologique entretient des liens étroits avec la conscience phonémique. Définie comme l’habileté à identifier et manipuler des phonèmes, la conscience phonémique correspond au plus haut niveau de conscience phonologique. Associée à la compréhension du principe alphabétique, la conscience phonémique permet d’identifier des mots écrits (Laplante et Bédard, 2015).
L’accès au lexique phonologique
L’accès lexical phonologique permet de récupérer rapidement en mémoire la forme phonologique d’un mot ainsi que sa séquence de sons et d’évoquer cette forme oralement au moment voulu (Norton et Wolf, 2012). Par exemple, un individu se représente mentalement l'animal domestique qui miaule et y associe mentalement la suite de sons qu'il a récupérée dans son lexique phonologique: / ∫ a /. Les élèves qui éprouvent des difficultés avec l’accès lexical phonologique ont ce qu’on appelle un « manque du mot », c’est-à-dire une difficulté ou même une impossibilité à évoquer spontanément un mot particulier au moment souhaité. Or, Norton et Wolf (2012) précisent que l’accès efficace aux représentations phonologiques des mots (que l'orthopédagogue peut apprécier notamment avec des épreuves de dénomination rapide) est nécessaire pour lire avec fluidité.
La mémoire de travail phonologique
La mémoire de travail phonologique est une composante d’un système de mémoire plus large nommée « mémoire de travail » (Stanké et Lefebvre, 2016). En référence au modèle de Baddeley (2000), la mémoire de travail est un système hiérarchisé en plusieurs sous-systèmes articulés : l’administrateur central, un système nommé « boucle phonologique », la mémoire tampon et le calepin visuospatial. La mémoire de travail permet la conservation temporaire de l’information perçue. Elle permet également l’activation des connaissances antérieures et des procédures pertinentes pour traiter et manipuler les informations nécessaires à des activités cognitives plus complexes, comme la lecture et l’écriture.
D’après Stanké et Lefebvre (2016), la mémoire de travail phonologique (appelée boucle phonologique dans le modèle de Baddeley) est un système d’autorépétition ayant deux fonctions :
- Stocker temporairement l’information phonologique pour éviter qu’elle ne s’efface;
- Permettre la manipulation de ces informations phonologiques pour décoder et orthographier phonologiquement.
La mémoire phonologique est mise à contribution lorsque les habiletés de conscience phonologique sont sollicitées (Desrochers, Kirby, Thompson et Fréchette, 2009). Selon Stanké et Lefebvre (2016), la mémoire de travail phonologique est sollicitée pour décoder et orthographier par l’intermédiaire du traitement alphabétique, tant que celui-ci n’est pas automatisé.
Manifestations des difficultés
L’évaluation du traitement phonologique ne relève pas uniquement des orthopédagogues. D’autres professionnels peuvent être mis à contribution, notamment pour documenter l’accès lexical phonologique et la mémoire de travail phonologique. Les avis sont partagés sur les effets de la rééducation de la mémoire de travail. Toutefois, des difficultés connues sur ce plan orientent la planification de la rééducation. Comme les orthopédagogues interviennent principalement sur l’une des composantes du traitement phonologique, la conscience phonologique, attardons-nous davantage à cet aspect. Ainsi, l’évaluation de la conscience phonologique peut mettre en lumière les manifestations suivantes :
Déficits de la conscience phonologique :
- Difficulté dans l’acquisition des correspondances phonèmes-graphèmes et graphèmes-phonèmes pour identifier et produire des mots par le traitement alphabétique.
- Difficulté à segmenter en phonèmes pour écrire et fusionner des phonèmes pour lire des mots. Par ricochet, la précision et la vitesse de lecture ainsi que l’orthographe de mots inconnus sont compromises.
- Habileté préservée à identifier et produire des mots fréquents enseignés.
- Persistance de confusions auditives (par exemple f/v, t/d, ch/j).
- Déficit de perception allophonique des phonèmes. Au Québec, la prononciation des consonnes t et d varie devant certaines voyelles (par exemple, petit est prononcé petsit). Certains élèves peuvent percevoir ces variations et commettre des erreurs de segmentation de phonèmes et, conséquemment, d’orthographe.
- Difficultés au niveau des processus non-spécifiques surajoutées, qui peuvent exacerber l'ampleur des défis en lecture-écriture.
Progression suggérée
Le choix de la cible de rééducation dépend des données recueillies par le biais du dépistage universel ou de l’évaluation orthopédagogique. Bien que les programmes d’interventions universelles ciblent plusieurs habiletés de conscience phonologique, il convient de privilégier la fusion et la segmentation de phonèmes en rééducation orthopédagogique (Ecalle, Magnan et Bouchafa, 2002) si l’élève est déjà habile à manipuler des syllabes. Les habiletés déjà maîtrisées par l’élève doivent également être prises en compte (Schuele et Boudreau, 2008). Le choix des tâches se fera donc en tenant compte de plusieurs variables, chacune présentant un gradient de difficulté (Stanké et Lefebvre, 2016). Le tableau suivant présente ces variables, ainsi qu’une proposition de progression pour chacune :
Pratiques efficaces
Comme exposé plus tôt, le traitement phonologique comporte trois composantes : la conscience phonologique, l’accès au lexique phonologique et la mémoire de travail phonologique. Toutefois, les recherches actuelles indiquent que la rééducation de l’accès au lexique phonologique donnerait peu de résultats (Stanké et Lefebvre, 2016). Quant à la mémoire de travail phonologique, les résultats de recherches sont encore contradictoires. Stanké et Lefebvre (2016) recommandent donc la prudence avant de cibler la mémoire de travail comme objectif d’intervention. La conscience phonologique constitue toutefois une cible d’intervention de choix. Nous exposerons donc quelques pratiques reconnues efficaces en lien avec la conscience phonologique.
L’entraînement de la conscience phonémique mettant l’accent sur la segmentation et la fusion, jumelé à un enseignement explicite des correspondances phonèmes-graphèmes, permet de prévenir d’éventuelles difficultés d’apprentissage du langage écrit, mais également d’améliorer les compétences de décodage et d’orthographe phonologique (Stanké et Lefebvre, 2016). Lefebvre (2012) suggère les éléments suivants pour développer efficacement la conscience phonologique :
- Jumeler le travail sur la conscience phonologique avec l’utilisation des graphèmes. L’oral est ainsi relié à l’écrit, soutenant par le fait même le principe alphabétique. La conscience phonémique se construisant en même temps que le principe alphabétique, les tâches devraient être appuyées par le code écrit, de façon à ce que les lettres appuient les sons entendus de façon concrète (Bosse et Zagar, 2016; Laplante et Bédard, 2015).
- Pour assurer le transfert, sélectionner des activités signifiantes : des tâches de segmentation en situation d’écriture et des tâches de fusion en situation de lecture. L’adulte établit alors explicitement la correspondance entre les lettres et les sons pour lire ou écrire des mots.
- Faire un choix réfléchi entre l’utilisation de mots ou de pseudo-mots, chacun présentant des atouts différents. Les pseudo-mots permettent de se décentrer du sens des mots, de sélectionner des items contenant les correspondances enseignées et de gagner du temps, puisqu’on n’a pas besoin de chercher des mots existants ou trouver un contexte pour les introduire.
- Segmenter les mots selon la prononciation à l’oral, sans prononcer le « e » muet.
- Prévoir des interventions sur le traitement morphographique, car celles-ci amènent une amélioration de la conscience phonologique (Richards et coll., 2006).
Giasson (2011) précise que la rééducation de la conscience phonologique auprès des élèves du 1er cycle a des effets sur les habiletés de lecture. Chez les élèves plus vieux, Schuele et Boudreau (2008) rapportent deux positions opposées. D’un côté, certains auteurs estiment qu’il vaut mieux délaisser l’intervention sur la conscience phonologique elle-même et se centrer directement sur les difficultés (identification, fluidité, compréhension). D’autres auteurs estiment plutôt que les capacités à segmenter et fusionner sont centrales pour identifier et produire des mots et qu’une base est incontournable.
Outils
Les outils proposés contiennent des exemples d’éléments qui peuvent être utiles pour guider la pratique orthopédagogique. Toutefois, ils doivent être adaptés selon les besoins de l’élève et les objectifs de rééducation.
Sources
Baddeley, A. (2000) : The Episodic Buffer: a New Component of Working Memory?, Trends in Cognitive Sciences 4, 417-423.
Bosse, M., et Zagar, D. (2016). La conscience phonémique en maternelle : état des connaissances et proposition d’évolution des pratiques pédagogiques actuelles. ANAE - Approche neuropsychologique des apprentissages chez l'enfant, 139. Repéré à https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01623137/document
Desrochers, A., Kirby, J., Thompson, G. et Fréchette, S. (2009). Le rôle de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture, Revue du Nouvel-Ontario, (34), 59–82. doi :10.7202/038720ar.
Desrochers, A., DesGagné, L. et Kirby, J. (2011). L’évaluation de la lecture orale, Dans Berger, M. et Desrochers, A. (Directeurs), L’évaluation de la littératie (p. 177-214), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
Écalle, J., Magnan A. et Bouchafa H. (2002). Le développement des habiletés phonologiques avant et au cours de l’apprentissage de la lecture : de l’évaluation à la remédiation, Revue Glossa, Cahiers de l’unadreo, 82, 4-12.
Giasson, J., (2011). La lecture : apprentissage et difficulté, Montréal, Gaëtan Morin.
Laplante, L., et Bédard, M. (2015). Abracadabra : guide pédagogique de la zone enseignant, Montréal, Université du Québec à Montréal. Repéré à https://literacy.concordia.ca/...
Lefebvre, P. et Commission scolaire Portage-de-l’Outaouais (2012). La conscience phonologique : guide d’appoint pour les activités de lecture partagée enrichie. Repéré à https://capsurlaprevention.css...
Norton, E. et Wolf, M. (2012. Rapid Automatized Naming (RAN) and Reading Fluency: Implications for Understanding and Treatment of Reading Disabilities. Annual Review of Psychology, 63, 427-452.
Schuele, M. et Boudreau D. (2008). Phonological Awareness Intervention: Beyond the Basics. Language, Speech, and Hearing Services in Schools, (39), 3-20, doi:10.1044/0161-1461(2008/002).
Stanké, B. et Lefebvre, P. (2016). La dyslexie-dysorthographie phonologique, dans Stanké, B (directrice), Les dyslexies-dysorthographies (p. 69-102), Québec, Presses de l’Université du Québec.
St-Pierre, M. (2006). Traitement auditif, traitement phonologique et acquisition de la morphologie dans la dyslexie développementale (Thèse de doctorat inédite), Université de Montréal.
Richards, T., Aylward, E., Field, K., Grimme, A., Raskind, W., Richards, A., Berninger, V. (2006). Converging Evidence for Triple Word Form Theory in Children With Dyslexia. Developmental Neuropsychology (30), 547-89. doi : 10.1207/s15326942dn3001_3.
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