Autres fonctions cognitives
Les traitements qui sont spécifiquement liés aux connaissances linguistiques ne peuvent à eux seuls expliquer la grande diversité des difficultés qu'éprouvent certains élèves lors de l’apprentissage du langage écrit. D’ailleurs, certains élèves peuvent posséder un bon niveau de langage oral ainsi que des habiletés en conscience phonologique, mais présenter tout de même des difficultés importantes en lecture et en écriture. De plus en plus de chercheurs soulèvent l’hypothèse que d’autres constituants, comme certaines fonctions cognitives, auraient un impact majeur sur l’apprentissage du langage écrit et seraient en partie à l’origine de certaines difficultés. Bien que l’état actuel des connaissances ne semble pas faire consensus, certains éléments sont de plus en plus documentés et semblent davantage retenir l’attention des chercheurs. Cette section donnera un bref aperçu de ces différents constituants, soit le traitement visuo-attentionnel, l’accès lexical et la mémoire de travail. Il importe de préciser que le rôle de l’orthopédagogue ne sera pas de rééduquer ces constituants, mais plutôt de les considérer lors de l’analyse de l’évaluation orthopédagogique ainsi que dans le choix des meilleures pratiques orthopédagogiques à mettre en place qui se fera au moment de la planification de la rééducation.
Le traitement visuo-attentionnel
Les troubles visuo-attentionnels se caractérisent par des difficultés à analyser visuellement la séquence orthographique des mots, entraînant ainsi des sauts de mots, un mauvais balayage visuel et de nombreux retours en arrière. Certaines recherches (Valdois 2016, Bosse et coll.. 2013, Muneaux et Ducrot, 2014) démontrent que le traitement visuo-attentionnel joue un rôle significatif dans l’apprentissage de la lecture. D’ailleurs, Valdois (s.d.) explique qu’en situation de lecture de texte, le lecteur doit porter une attention sélective et successive sur chacun des mots individuels pour les identifier. Au niveau du mot lui-même, des traitements visuo-attentionnels entrent en action, de manière à traiter l’ensemble des lettres de la séquence. Pour identifier correctement un mot et traiter les lettres en parallèle, le lecteur doit distribuer son attention visuelle de façon équivalente sur l’ensemble des lettres. Valdois a observé certains élèves qui, malgré de bonnes capacités de traitement phonologique, ont une lecture lente et laborieuse, car ils décodent tous les mots qui devraient leur être familiers, en particulier les mots irréguliers (par exemple « sept » ou « hier »). Ces élèves pouvant visuellement traiter qu’un nombre limité de lettres comparativement à un lecteur normal ne peuvent traiter simultanément l’ensemble de la séquence orthographique du mot.
D’autres élèves peuvent aussi présenter des troubles de l’analyse visuelle qui s’expliqueraient par des lacunes dans l’alignement des yeux lors d’une vision de près ou une image rétinienne inadéquate (astigmatisme et hypermétropie). Pour eux, les mots peuvent être embrouillés ou dédoublés. Ils doivent donc faire un effort pour garder leur attention sur la séquence des lettres et des groupes de lettres afin d’encoder le mot de façon précise, ce qui peut engendrer des difficultés à reconnaître rapidement des mots familiers et à automatiser la lecture.
Desrochers, Carson et Daigle (2018) rapportent que même si ces troubles visuels sont rares, ils peuvent entraver l’apprentissage de la lecture chez les élèves qui en sont atteints. Par contre, bien que ces anomalies aient été observées chez des élèves ayant des difficultés sévères et qu’ils pourraient expliquer une partie de l’hétérogénéité des difficultés, les conclusions actuelles des recherches sont encore incertaines et ne font pas consensus.
L'accès lexical
Un trouble d’accès lexical (communément appelé « manque du mot ») est une difficulté à accéder rapidement à un mot connu et compris. L’élève peut avoir de la difficulté à encoder l’information dans sa mémoire, mais surtout à récupérer cette information au moment voulu. Puisque chaque élève présente un portrait d’erreurs qui lui est propre, les difficultés d’accès lexical peuvent se manifester de différentes façons. L’élève peut :
- chercher ses mots;
- remplacer un mot par un autre;
- utiliser des mots vagues ou substituer un mot par une description;
- utiliser souvent les mêmes mots;
- ne pas terminer ses phrases;
- avoir de la difficulté à élaborer ses idées;
- etc.
Le trouble d’accès lexical est souvent confondu avec un manque de vocabulaire, car leurs manifestations sont très similaires. La distinction majeure est que dans le cas d’un trouble d’accès lexical, l’élève connaît le mot. Sa difficulté réside dans sa capacité à retrouver le bon chemin pour aller le récupérer dans son lexique mental. Puisqu’en contexte scolaire la capacité d’accès lexical est constamment sollicitée, ce trouble peut entraîner des difficultés d’apprentissage importantes, particulièrement lors de productions écrites.
Par ailleurs, certains chercheurs (Dockrell et coll., 1998; McGregor et Leonard, 1989, cités par Coulombe, 2004) s’entendent pour dire qu’un trouble d’accès lexical est rarement isolé et qu’il fait probablement partie d’un trouble de langage plus général. En effet, des difficultés de morphologie verbale, de sémantique et de compréhension grammaticale ont été identifiées comme étant des manifestations régulièrement associées aux troubles d’accès lexical. Puisque toutes ces habiletés sont nécessaires à la construction du lexique mental et qu’il est difficile d’isoler un seul de ces facteurs, les données de recherches ne sont pas unanimes pour affirmer qu’il est plausible de parler isolément du trouble d’accès lexical pour expliquer certaines difficultés d’apprentissage en langage écrit.
La mémoire de travail
La mémoire de travail est une capacité cognitive dynamique qui permet de maintenir temporairement l’information en plus d’activer les connaissances antérieures nécessaires pour la manipuler et la traiter. Ce système de mémoire est composé de trois sous-systèmes : l’administrateur central, la mémoire de travail phonologique (aussi appelée boucle phonologique) et le calepin visuo-spatial.
En lecture, la mémoire de travail est nécessaire tant pour le décodage des mots que pour la compréhension de phrases et de textes. Puisque le décodage est un processus séquentiel, l’élève doit mettre en relation des lettres avec les sons correspondants puis les maintenir en mémoire afin de les assembler pour lire le mot. Limitée en temps, la mémoire de travail phonologique est nécessaire pour lire de nouveaux mots, car elle permet d’associer les patrons orthographiques aux sons et d’en activer ainsi la lecture. La moindre défaillance en mémoire de travail aboutit à un mauvais décodage du mot lu.
Un large consensus est observé quant aux faiblesses des dyslexiques dans les épreuves de mémoire de travail phonologique. D’ailleurs, Stanké (2016) rapporte que les enfants qui ont une dyslexie-dysorthographie phonologique présentent également un déficit de mémoire de travail touchant plus spécifiquement l’administrateur central et la mémoire de travail phonologique. En conséquence, le nombre d’erreurs en lecture et écriture augmente en fonction de la longueur et de la complexité des mots. Comme la mémoire de travail contribue à la compréhension et à la production de textes écrits, l'orthopédagogue devrait également relever des difficultés dans ces deux domaines.
Plusieurs recherches (Jongejan et coll., 2007; Muter et Snowling, 1998; Piquard-Kipffer, 2003; Rohl et Pratt. 1995, cités par Fréchette et Desrochers, 2011) ont confirmé l’impact de la mémoire de travail dans la réussite de l’apprentissage de la lecture, mais d’autres études mettent en évidence la difficulté de l’isoler et par conséquent, de cerner son apport spécifique. Par exemple, lors d’une épreuve de conscience phonologique, la rétention et la manipulation cognitive sont sollicitées en même temps et il devient presque impossible de dissocier le traitement phonologique de la mémoire de travail.
Sources
Bosse M., Valdois S. et Dompnier B. (2013) Acquisition du langage écrit et empan visuo-attentionnel : une étude longitudinale. Repéré à https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00817793/document
Coulombe, C. (2004) Rapport de lecture dirigée : Enfants dysphasiques et trouble d’accès lexical : un regard sur l’intervention. Repéré à http://docplayer.fr/23690724-Rapport-de-lectures-dirigees-revue-de-litterature-critique-enfants-dysphasiques-et-trouble-d-acces-lexical-un-regard-sur-l-intervention.html
Demont E. et Botzung, A. (2003). Contribution de la conscience phonologique et de la mémoire de travail aux difficultés en lecture : étude auprès d’enfants dyslexiques et apprentis lecteurs. Repéré à https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2003_num_103_3_29642
Desrochers A., Carson R., Daigle, D.. (2012) Une analyse des facteurs de risque dans l’apprentissage de la lecture chez l’enfant. Repéré à https://www.erudit.org/fr/revues/enfance/2012-v1-enfance0259/1012123ar.pdf
Fréchette S. et Desrochers, A. (2011) Le dépistage des élèves à risque d’éprouver des difficultés en lecture, Dans M. Berger et A. Desrochers (dir.), L’évaluation en littératie (p.81-116), Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa.
Lussier, F. (s.d.) Atteinte de la voie lexicale. Repéré à https://cenop.ca/troubles-apprentissage/dyslexie/atteinte-voie-lexicale.php
Muneaux M. et Ducrot, S. (2014) Capacités oculomotrices, visuo-attentionnelles et lecture : un autre regard sur la dyslexie, A.N.A.É. (129). Repéré à https://www.researchgate.net/profile/Stephanie_Ducrot/publication/262484622_Capacites_oculomotrices_visuoattentionnelles_et_lecture_un_autre_regard_sur_la_dyslexie/links/5548870b0cf2b0cf7acecbb0/Capacites-oculomotrices-visuoattentionnelles-et-lecture-un-autre-regard-sur-la-dyslexie.pdf
Stanké B.(dir), (2016) La dyslexie-dysorthographie mnésique, Dans Les dyslexies-dysorthographie (p. 145-174), Québec, Les Presses de l’Université du Québec.
Troles, N. (2013) Élaboration d’un outil d’aide au diagnostic de la dyslexie développementale (thèse de doctorat, Université Rennes 2). Repéré à https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00795123/document
Valdois, Sylviane (2016) Les dyslexies-dysorthographies par trouble de l’empan visuo-attentionnel, Dans B. Stanké (dir.) Les dyslexies-dysorthographie (p. 103-143), Québec, Les Presses de l’Université du Québec.
Valdois, Sylviane, (s.d.) Dyslexies développementales et troubles visuo-attentionnels. Repéré à https://www.dysmoitout.org/pratique/documents/dys-troubles-visio-attentionnels.pdf