Rééducation orthopédagogique du langage écrit

Traitement alphabétique


Selon le modèle de Seymour (2008), le traitement alphabétique permet à l’élève de décoder les mots en utilisant les correspondances graphèmes-phonèmes et produire des mots grâce aux correspondances phonèmes-graphèmes. Ce traitement des mots est largement utilisé en début d’apprentissage de la lecture-écriture et continue de l’être, de façon plus rapide et efficace, chaque fois que le lecteur voit un mot nouveau. Il a été démontré que le lecteur doit d'abord décoder efficacement les mots plusieurs fois avec le traitement alphabétique afin d'emmagasiner ces mots dans son lexique orthographique, ce qui lui permettra ensuite de les traiter rapidement grâce au traitement logographique (Lefebvre, 2016; Sprenger-Charolles, 2017). Avec le traitement logographique, le traitement alphabétique sert de fondation au développement des autres traitements (Seymour, 2008). Pour que le développement du traitement alphabétique se fasse de façon efficace, il faut que les habiletés de conscience phonologique soient suffisantes. En effet, une difficulté à reconnaître les sons dans un mot aurait des conséquences directes sur l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes (Valdois, 2016).

Lorsque le lecteur traite les mots de façon alphabétique, il convertit les graphèmes (lettres ou groupes de lettres) en phonèmes (sons) et les assemble lors de l’identification de chaque syllabe qui compose le mot. En écriture, les syllabes sont segmentées en phonèmes, chacun d'eux étant ensuite converti en graphèmes (Daigle, Montésinos-Gelet et Plisson, 2013). L'élève peut donc décoder ou écrire des mots réguliers, tels que « lapin » ou « tomate », et des pseudo-mots. Le traitement alphabétique ne permet toutefois pas de lire ou d’écrire des mots irréguliers, étant donné que ceux-ci ne respectent pas les règles de transcodage graphèmes-phonèmes ou phonèmes-graphèmes (p. ex. : femme).

Manifestations des difficultés

Ces manifestations peuvent être identifiées à la lumière des résultats de l’évaluation orthopédagogique (Chapleau, 2013; Côté, 2012; Laplante, 2011):

  • Faible performance lors de l’identification ou la production de pseudo-mots ou de mots peu familiers comparativement aux mots fréquents, qui sont mieux lus ou écrits (effet de lexicalité et effet de fréquence);
  • Méconnaissance des correspondances graphèmes-phonèmes et phonèmes-graphèmes;
  • Lexicalisation de pseudo-mots (p. ex. : « ractuf » est lu ou écrit « facture »);
  • Paralexies et paragraphies affectant la phonologie (substitution, omission, ajout, inversion, déplacement de phonèmes);
  • Lenteur de traitement en lecture/écriture et hésitations;
  • Utilisation d’autres stratégies telles que l’anticipation selon le contexte et le sens en lecture ou le traitement partiel du mot;
  • Difficultés au niveau des processus non-spécifiques surajoutées, qui peuvent exacerber l'ampleur des défis en lecture-écriture.

En lecture, l’élève dont le traitement alphabétique n’est pas efficace présente ces manifestations étant donné qu’il a de la difficulté à segmenter les graphèmes qui composent le mot à lire, à effectuer la conversion avec les phonèmes correspondants et à fusionner ceux-ci pour arriver à décoder le mot ciblé (Seymour, 1996 cité dans Carbonnel, Gillet, Martory et Valdois, 1996). En écriture, l’élève aura de la difficulté à segmenter les mots contenu dans son message en phonèmes et à  convertir ces derniers en graphèmes.

Progressions suggérées

Le développement du processus alphabétique suit l’apprentissage de la conscience phonologique. En effet, l’élève doit d’abord être en mesure de manipuler les sons de la langue orale avant d’apprendre les correspondances graphèmes-phonèmes et phonèmes-graphèmes et de pouvoir les utiliser pour décoder ou orthographier un mot. Lorsque l’orthopédagogue planifie la rééducation du traitement alphabétique, il ou elle doit tenir compte des correspondances graphèmes-phonèmes et des structures syllabiques, et ce, en fonction des capacités de l’élève et des résultats obtenus à l’évaluation.

Progression des correspondances graphèmes-phonèmes

- Selon Lefebvre (2016), il serait avantageux de commencer par les voyelles simples (une lettre), qui représentent les correspondances les plus simples étant donné que le nom de la lettre est le même que le son qui lui est associé. Il faut poursuivre ensuite avec les graphèmes composés d’une lettre dont on entend le son qui lui est associé dans son nom (p. ex. : l, m, r). Les correspondances plus complexes, comme celles qui sont composées de plus d’une lettre (p. ex. : ch, ou, in) ou dont le son dépend du contexte (p. ex. : g dur et g doux) seront enseignées plus tard.

- La fréquence des graphèmes dans les mots de la langue française doit aussi être considérée. Afin de permettre aux élèves de lire un plus grand nombre de mots, l'orthopédagogue commencera par enseigner des graphèmes fréquents avant de voir ceux qui sont plus rares (Dehaene, Huron et Sprenger-Charolles, 2012). Par conséquent, si plusieurs graphies permettent d'écrire un même phonème, il présentera les plus fréquentes dans un premier temps (ex. : « è » avant « ei » et « ai »). Les travaux de Nina Catach (2014) identifient les graphèmes les plus fréquemment employés pour traduire les phonèmes, donc ceux qui devraient être enseignés dans un premier temps.

- Les consonnes continues (p. ex. : l, v, j) devraient être enseignées avant les consonnes brèves (p. ex. : b, d, k), car elles sont plus faciles à entendre et à fusionner avec d’autres phonèmes. L'orthopédagogue peut les étirer pour amener les élèves à mieux les percevoir (Dehaene, Huron et Sprenger-Charolles, 2012; Gaudreau, 2004; Giasson, 2011).

- Il est important d'introduire quelques consonnes en même temps que les voyelles afin de permettre de commencer rapidement le décodage de mots simples dans le but de contextualiser les apprentissages (Rief et Stern, 2011).

- Particulièrement avec les élèves ayant de grandes difficultés, il est important d'espacer la présentation des sons ayant des caractéristiques similaires, tant phonologiques que visuelles (Rief et Stern, 2011). Par exemple, l'orthopédagogue n'introduira pas les lettres suivantes en même temps: b et d, m et n, p et b, f et v.

- Le degré de transparence du lien entre le phonème et le graphème influence le niveau de difficulté. En effet, certains phonèmes sont réguliers, c’est-à-dire qu’ils correspondent toujours à la même graphie (p. ex. : ou, n, l). Ces correspondances sont donc plus faciles à acquérir (Côté et Patat, 2008). Certains auteurs, dont Sprenger-Charolles (2017), qualifient ces graphèmes de « consistants » et précisent qu’il est important de présenter d’abord les graphèmes qui se lisent toujours de la même façon. Plus tard, lorsque l'orthopédagogue introduira les graphèmes qui peuvent produire plus d'un son, il ou elle présentera d'abord le phonème le plus fréquemment associé au graphème (Rief et Stern, 2011).

Le tableau suivant présente une progression proposée par Sprenger-Charolles, qui respecte les éléments présentés précédemment.  La proposition comporte des éléments qui touchent surtout le traitement alphabétique, mais aussi les traitements logographique, orthographique et morphographique.

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Progression des structures syllabiques

Le niveau de difficulté des mots à lire et à écrire varie en fonction des structures syllabiques qui les composent. En effet, certaines structures syllabiques sont plus faciles à entendre et à manipuler que d’autres qui comprennent des groupes de consonnes consécutives (Dehaene, Huron et Sprenger-Charolles, 2012; Giasson, 2003). Plus les syllabes sont longues, plus elles sont difficiles à lire et à écrire.

Voici donc une proposition de progression des structures syllabiques à utiliser dans les interventions (Laplante, 1998) :
1. CV
2. CVC
3. CCV
4. CVC-CV, CVC-CCV, CVC-CVC
5. CV-CCV, CV-CVC
6. CCV-CV, CCV-CVC
7. etc.

Pratiques efficaces

- L'enseignement explicite du code : Plusieurs chercheurs ont démontré l’importance d’enseigner explicitement les règles du code alphabétique, dont Dehaene et ses collaborateurs (2012). Il faut donc enseigner plusieurs principes aux élèves, dont celui que les lettres s’assemblent de gauche à droite et qu’elles transcrivent les sons du langage. Il est aussi gagnant que l'orthopédagogue enseigne de façon explicite chacune des correspondances entre les lettres et les sons en mettant un haut-parleur sur sa pensée pour démontrer comment il ou elle utilise les sons pour décoder les mots. L’enseignement explicite offre des occasions fréquentes de pratiquer l’habileté qui a été modélisée et implique une rétroaction immédiate de l’adulte par le biais de la pratique guidée.

- L’utilisation de pseudo-mots : Cette stratégie peut être très efficace pour obliger l’élève à passer par le traitement alphabétique, car il doit utiliser, en grande partie, ses connaissances des correspondances graphèmes-phonèmes pour identifier ou écrire les pseudo-mots. Si l'orthopédagogue veut solliciter uniquement le traitement alphabétique dans une activité de rééducation, il faut éviter les mots fréquents, étant donné que l’élève pourrait les lire ou les écrire grâce au traitement logographique. Les pseudo-mots permettent aussi de travailler avec les structures syllabiques et les sons que l'orthopédagogue veut cibler sans être contraint par les mots existants dans la langue française (Desrochers, DesGagné et Kirby, 2011).

- Éviter l'exposition à l'erreur : Il est important d'utiliser des pseudo-mots qui comportent des patrons orthographiques qui sont plausibles dans la langue française afin d'éviter de créer des traces mnésiques erronées. Plusieurs études récentes démontrent l'effet négatif de l'exposition à l'erreur en orthographe lexicale (Stanké, Ferlatte, Granger et Poulin, 2015). Par conséquent, il faut choisir des graphies probables et fréquentes selon leur position dans le pseudo-mot.

- Travailler simultanément en lecture et en écriture : Il est préférable de ne pas délaisser une habileté pour l’autre, car le travail simultané en lecture et en écriture permet de renforcer la connaissance des correspondances graphèmes-phonèmes. En effet, Fitzgerald et Shanahan ainsi que Graham et Hébert (cités par Lefebvre, 2016) soutiennent que le développement des habiletés en lecture et en écriture ont une relation symbiotique, c’est-à-dire que leur développement s’influence mutuellement. De plus, le fait d’écrire un nouveau mot force l’élève à utiliser sa conscience phonémique pour segmenter et identifier tous les phonèmes.

- Assurer le transfert des apprentissages en tâches contextualisées : Selon Côté (2012), il s'agit d'un élément essentiel pour que l’élève en vienne à utiliser les apprentissages faits lors de la rééducation pour lire et écrire des mots dans des situations authentiques. Pour ce faire, il faut utiliser rapidement les correspondances dans des mots et des textes, après les avoir travaillées isolément jusqu’à ce qu’elles soient acquises. Il faut procéder de façon graduelle en proposant des tâches de plus en plus contextualisées tout en augmentant progressivement le niveau de complexité. Par exemple, si le décodage de syllabes de type consonne-voyelle-consonne est travaillé, l'orthopédagogue commencera par proposer des syllabes ou des pseudo-mots à lire de façon isolée. Ensuite, ces syllabes seront placées dans des mots réels, dans des phrases et finalement dans des textes.

Outils

Les outils proposés contiennent des exemples d’éléments qui peuvent être utiles pour guider la pratique orthopédagogique. Toutefois, ils doivent être adaptés selon les besoins de l’élève et les objectifs de rééducation.

Exemple de séance-type

Canevas d'outil de pistage

Bilan des interventions

Enseignement explicite

Sources

Carbonnel, S., Gillet, P., Martory, M. D. et Valdois, S. (1996). Approche cognitive des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte, Marseille, Éditions Solal.

Catach, N. (2014). L'orthographe française - L'orthographe en leçons : un traité théorique et pratique (3e éd.), Paris, Armand Colin.

Chapleau, N. (2013). Effet d’un programme d’intervention orthopédagogique sur la conscience morphologique et la production de mots écrits chez des élèves présentant une difficulté spécifique d’apprentissage de la lecture-écriture (Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal). Repéré à http://www.archipel.uqam.ca/57...

Côté, C. et Patat, L. (2008). Apprenti sons : activité pour découvrir et apprendre les fondements de la lecture et de l’orthographe, Montréal, Chenelière Éducation.

Côté, M.F. (2012). L’impact d’une intervention orthopédagogique rééducative sur le transfert d’habiletés d’identification de mots en situation authentique de lecture chez des élèves du premier et du deuxième cycles du primaire présentant des difficultés d’apprentissage (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Repéré à https://archipel.uqam.ca/5069/1/M12385.pdf  

Daigle, D., Montésinos-Gelet, I. et Plisson, A. (2013), Orthographe et populations exceptionnelles : perspectives didactiques, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Dehaene, S., Huron, C. et Sprenger-Charolles, L. (2012). Quelques grands principes de l’apprentissage de la lecture. Proposition de progression basée sur les grands principes. Transmis à Lyon, France. Repéré à https://fr.scribd.com/document...

Desrochers, A., DesGagné, L. et Kirby, J.R. (2011). L’évaluation de la lecture orale. Dans M.J. Berger et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.

Gaudreau, A. (2004). Émergence de l'écrit : éducation préscolaire et premier cycle du primaire, Montréal, Chenelière Éducation.

Giasson, J. (2003). La lecture : de la théorie à la pratique (2e éd.), Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur.

Giasson, J. (2011). La lecture : apprentissage et difficultés, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur.

Laplante, L. (2011). L’évaluation diagnostique des difficultés d’apprentissage de la lecture. Dans M.J. Berger et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.

Laplante, L. (1998). Dyslexie développementale et système de reconnaissance des mots écrits [thèse de doctorat, Université de Montréal]. https://www.collectionscanada....

Lefebvre, P. (2016). L’ABC de l’apprentissage de l’écrit pour mieux prévenir les difficultés. Dans B. Stanké (dir.), Les dyslexies-dysorthographies, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Rief, S.F. et Stern, J. M. (2011). La dyslexie : guide pratique pour les parents et enseignants (adapté par H. Boucher), Montréal, Chenelière Éducation.

Seymour, P. (2008). Continuity and Discontinuity in the Development of Singleworld Reading: Theorical Speculations. Dans E. Grigorenko et A. Naples (dir.), Single-word Reading, Behavioral and Biological Perspectives (1-24), New York, Lawrence Erlbaum Associates.

Sprenger-Charolles, L. (2017). Une progression pédagogique construite à partir de statistiques sur l’orthographe du français (d’après Manulex-Morpho) : pour les lecteurs débutants et atypiques. A.N.A.E., 148, 247-256. Repéré à https://www.ac-noumea.nc/IMG/p...

Stanké, B., Ferlatte, M.-A., Granger, S. et Poulin, M.-J. (2015). Efficacité de l'enseignement sans erreur de l'orthographe lexicale, Les cahiers de l'AQPF, 5(3), 16-18. Repéré à https://brigittestanke.files.w...

Valdois, S. (2016). Les dyslexies-dysorthographies par trouble de l’empan visuo-attentionnel. Dans B. Stanké (dir.), Les dyslexies-dysorthographies, Québec, Presses de l’Université du Québec.