Traitement logographique
La conception du traitement logographique varie selon le modèle développemental auquel on se réfère. Selon le modèle de Seymour, le traitement logographique correspond à une procédure instantanée qui prend en considération l’ensemble des lettres et leur position relative dans un morceau de mot ou dans le mot complet (Laplante, 2011), à la manière d’un appareil photo en haute définition qui permet de capter tous les détails de la partie photographiée (Pomerleau, 2017). Lorsqu’un lecteur est confronté à un mot, il procède à une analyse visuelle de cette chaîne de lettres. Celle-ci peut être activée intégralement si le lecteur la jumelle à une « photo » dans son lexique logographique. Si cette association n’est pas possible, le traitement alphabétique prend le relais, seul (Desrochers, Desgagné et Kirby, 2011). En situation d'écriture, le scripteur peut utiliser le traitement logographique en orthographiant de mémoire, en réactivant la "photo" du mot ou de la partie de mot emmagasinée préalablement (Bédard et Laplante, 2015). L'utilisation de cette procédure est plus exigeante en écriture qu'en lecture. En effet, le scripteur doit s'appuyer sur une représentation très claire du mot pour l'orthographier correctement, alors qu'une représentation partielle seulement pourrait suffire pour lire le même mot (Guertin, 2015). En utilisant le traitement alphabétique pour lire des mots fréquents et réguliers à plusieurs reprises et dans différents contextes (dans des phrases, dans des textes où les mots fréquents sont mis en évidence, sur des cartes ou des étiquettes où figurent des mots fréquents), le lecteur/scripteur emmagasinera éventuellement ces mots dans son lexique orthographique. Ainsi, le traitement logographique se développe en simultanéité avec le traitement alphabétique. Selon Giasson (2011), cette construction s’amorce d’ailleurs dès la 1re année, même si les élèves n’ont pas encore appris toutes les correspondances graphèmes-phonèmes et phonèmes-graphèmes et que le traitement alphabétique est encore dominant. Les jeunes lecteurs emmagasinent alors des mots fréquents. En 2e année, le nombre de mots reconnus instantanément prend de l’importance. Cet apprentissage se fait de deux façons :
- Par la mémorisation de la séquence de lettres : le jeune lecteur mémorise la séquence des lettres de certains mots sans nécessairement savoir les décoder (les prénoms des élèves de la classe et quelques mots fréquents ou vus en classe, par exemple).
- Par un processus d’auto-apprentissage : confronté pour la première fois à un mot, le lecteur utilise le traitement alphabétique pour le lire. Cette action laisse toutefois une trace en mémoire et la lecture se fait plus rapidement lorsqu’il voit le mot par la suite. La répétition amène le lecteur à utiliser sa mémoire plutôt que de décoder à nouveau le mot par le traitement alphabétique. En écriture, la trace conservée en mémoire permet au scripteur de réactiver celle-ci et d'orthographier de mémoire. Un lecteur aurait besoin de rencontrer un mot entre trois et huit fois pour l’automatiser. Toutefois, l’élève à risque aura besoin d’un plus grand nombre d’essais. La très grande majorité des mots sont appris par auto-apprentissage. Cette séquence varie toutefois pour les mots irréguliers. Sprenger-Charolles et Serniclaes (2003) soulèvent la possibilité que le lecteur qui lit un mot irrégulier en utilisant le traitement alphabétique pourrait aussi utiliser son lexique oral pour corriger la mauvaise prononciation. Par exemple, lorsque le mot « femme » est lu /fem/, le lecteur pourrait consulter son lexique oral, faire un lien avec le mot de prononciation voisine /fam/ et conclure que le « e » de « femme » doit se prononcer /a/.
Le développement simultané des traitements logographique et alphabétique sert de fondation. En effet, leur développement respectif est indispensable à la mise en place du traitement orthographique et du traitement morphographique (Seymour, 2008). La place du traitement logographique est schématisée ainsi par Pomerleau (2015) :
Structure du modèle de Seymour (adapté par Pomerleau, 2017, page 6)
Ajoutons que l’augmentation du nombre de mots reconnus instantanément et orthographiés de mémoire est tributaire de plusieurs éléments : efficacité du traitement phonologique, efficacité de la mémoire de travail, etc. (Cannard, 2012).
Manifestations des difficultés
Selon Laplante, Chapleau et Bédard (2011), l’évaluation orthopédagogique du traitement logographique peut mettre en lumière les manifestations suivantes :
- Bagage restreint de mots familiers, reconnus instantanément et orthographiés correctement;
- Faible performance lors de la lecture de mots fréquents. Erreurs lors de l’écriture de mots fréquents;
- Substitution de mots proches sur le plan visuel (p. ex. botte à /belle/);
- Compensation possible par une surutilisation du traitement alphabétique ou par le recours aux processus non spécifiques (autrement dit, au contexte et au sens) en lecture de textes. Il faut toutefois garder en tête que la compensation prend du temps et de l’énergie (Bédard, Mercier et Laplante, 2016).
- Difficultés au niveau des processus non-spécifiques surajoutées, qui peuvent exacerber l'ampleur des défis en lecture-écriture.
Pratiques efficaces
La procédure suivante permet d'intervenir efficacement sur le traitement logographique :
- Privilégier les mots irréguliers fréquents qui ne peuvent être lus grâce au traitement alphabétique. Proposer des mots irréguliers simples, en premier lieu. Ensuite, des mots irréguliers complexes pourront être proposés. Ceux-ci seront toutefois identifiés ou produits par le biais du traitement orthographique. Quant à eux, les mots réguliers finiront probablement par être stockés dans le lexique orthographique par auto-apprentissage (Giasson, 2011).
- Présenter chaque mot une première fois, sans temps limité. La lecture est faite par l’orthopédagogue qui donne ainsi l’information phonologique pendant que l’élève traite l’information orthographique.
- Présenter ensuite le mot à plusieurs reprises de façon plus rapide, toujours en lecture. L’orthopédagogue modélise, puis guide la démarche : regarder le mot en entier, photographier le mot, le visualiser mentalement, poser des questions sur sa forme (Siffrein-Blanc et George, 2010) : « Combien de lettres qui montent? Combien de e? Quelles lettres après le o? »
- Inviter ensuite les élèves à épeler le mot puis le comparer au modèle, transcrire immédiatement le mot ou encore écrire une phrase contenant le mot. Giasson (2011) rappelle que même si l'élève décode un mot adéquatement, il n’est pas certain qu’il pourra l’écrire correctement. En effet, l’utilisation du lexique orthographique en écriture demande une attention minutieuse à la séquence des lettres, ce qui n’est pas forcément le cas en lecture. La copie de mots soutient la mise en mémoire de la forme orthographique, mais ne suffit pas pour mémoriser. Giasson précise qu’il faut analyser le mot, le découper en syllabes, en reconnaître les particularités et le comparer à d’autres mots.
- Assurer le transfert des apprentissages en tâches contextualisées. Pour ce faire, il faut utiliser rapidement les mots ciblés dans des phrases et des textes.
Outils
Les outils proposés contiennent des exemples d’éléments qui peuvent être utiles pour guider la pratique orthopédagogique. Toutefois, ils doivent être adaptés selon les besoins de l’élève et les objectifs de rééducation.
Liste de mots irréguliers fréquents
Sources
Bédard, M., Mercier, J. et Laplante, L. (2016, octobre). À la recherche de pratiques probantes à propos de la compensation d’une difficulté à identifier/produire des mots écrits : didactique cognitive et neurosciences éducationnelles, Communication présentée au 27e Colloque de l’ADOQ, Lévis, Québec.
Bédard, M. et Laplante, L. (2015). Abracadabra: Guide pédagogique de la zone enseignant. Université du Québec à Montréal. Repéré à https://literacy.concordia.ca/...
Cannard, J. (2012). Protocole expérimental d’enrichissement du lexique orthographique chez des enfants de CE2 présentant un trouble du langage écrit (Mémoire en vue de l’obtention du certificat de capacité en orthophonie, Université de Poitiers). Repéré à http://nuxeo.edel.univ-poitier.
Desrochers, A., DesGagné, L. et Kirby, J. (2011). L’évaluation de la lecture orale. Dans M. Berger,. et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie (177-214), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
Fréchette, S. et Desrochers, A. (2011). Le dépistage des élèves à risque d’éprouver des difficultés en lecture. Dans M. Berger, et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie (81-116), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
Giasson, J. (2011). La lecture : apprentissage et difficultés, Montréal, Québec, Gaëtan Morin.
Guertin, S. (2015). Rééducation de l'orthographe chez de jeunes dysorthographiques (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal). Repéré à https://archipel.uqam.ca/8047/1/M14007.pdf
Laplante, L. (2011). L'évaluation diagnostique des difficultés d'apprentissage de la lecture. Dans M.J. Berger et A. Desrochers (dir.), L'évaluation de la littératie. Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa.
Laplante, L., Chapleau, N. et Bédard, M. (2011). L’identification de la dyslexie développementale : vers un modèle intégrant l’évaluation et l’intervention. Dans M. Berger, et A. Desrochers (dir.), L’évaluation de la littératie (215-254), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
Pomerleau, D. (2017). Hôpital vétérinaire Dre Annie et Dr Maux : guide pédagogique de la trousse de compréhension en lecture, Québec, Les Éditions Passe-Temps (2014) Inc.
Seymour, P. (2008). Continuity and Discontinuity in the Development of Singleworld Reading: Theorical Speculations. Dans E. Grigorenko et A. Naples (dir.), Single-word Reading, Behavioral and Biological Perspectives (1-24), New York, Lawrence Erlbaum Associates.
Siffrein-Blanc, J., et George, F. (2010). L'orthographe lexicale, Développements, 4 (1), 27-36. Repéré à https://www.cairn.info/revue-d.
Sprenger-Charolles, L. et Serniclaes, W. (2003). Acquisition de la lecture et de l'écriture et dyslexie : revue de la littérature, Revue française de linguistique appliquée, 8 (1), 63-90. Repéré à https://www.cairn.info/revue-f.
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